#8 Éloge de l’essentiel

#8 Éloge de l’essentiel

Plus c’est rempli, plus c’est vide

Il paraît que vous, les Hommes, vivez à l’ère de l’abondance. Abondance d’objets, d’options, de notifications, de séries, de podcasts, de conseils de gens jamais sollicités mais qui hurlent quand même sur vos murs Facebook.

Vos placards vomissent du trop plein, vos cerveaux grésillent comme des multiprises en surcharge, et vos to-do-lists se reproduisent dans l’ombre comme des lapins sous anxiolytiques. Et au beau milieu de ce grand cirque connecté, plus personne ne sait où il a foutu ses chaussettes, ni ce qu’il fout là.

Vous, bipèdes, vous acharnez à remplir pour ne pas ressentir. Vous achetez pour combler ce que vous ne savez même plus nommer.

Et comme disait Confucius, ou peut-être mon pote Pouic pendant notre séance sportive consistant à nous rouler sur le dos esplanade De Gaulle, « plus que t’empiles, moins que tu dors bien ».

L’essentiel, c’est pas du marketing (désolé, Elon)

Bah oui, vous avez réussi à transformer l’essentiel en concept lifestyle. Maintenant, il y a des applis pour « revenir à vous », des retraites hors de prix pour « vous déconnecter », avec Wifi illimité, smoothies bio et hashtags inspirants inclus dans le package.

Bref, vous vendez du silence avec du bruit. Du vide avec des options. Des couchers de soleil calibrés pour récolter des like mais pas des souvenirs. Des instants magiques retouchés au botox numérique.

Pendant ce temps, moi, Raymond, je me couche sur un vieux tapis qui sent le vécu, je pète sans remords et je dors d’un œil, puis de l’autre.

Le vide, c’est pas dans le placard qu’il faut le faire

Mon maître a essayé d’être heureux avec un agenda optimisé à la minute. Résultat ? Burn-out. Et pas un joli burn-out boisé-bergamote. Non, un bon gros crash existentiel, le genre où même moi j’ai hésité à lui rapporter une balle pour lui redonner goût à la vie.

Depuis, il a viré ses applis de productivité et s’est mis à respirer entre deux battements de cœur.

Et il a compris un truc : le vide qu’il ressentait, c’était pas un problème de rangement. C’était un trop-plein de pas essentiel.

Le luxe, c’est pas les trucs chers, c’est les trucs vrais

C’est une sieste sans alarme, sans Apple Watch qui analyse ton sommeil paradoxal pendant que tu rêves que tu es libre, juste toi, le silence et une trace de bave assumée sur le coussin.

C’est un bol d’eau tiède, pas une eau de source filtrée et certifiée « slow hydratation ». C’est un pote qui t’envoie une photo floue, prise à l’arrache, sans filtre, sans story, juste parce qu’il a pensé à toi et pas à son taux d’engagement Insta.

C’est un plat cramé, posé au centre de la table sans mise en scène, où personne ne demande « attends j’ai pas pris la photo ». C’est un « ça va ?? » lancé à voix basse, les yeux dans les tiens, et pas entre deux swipes sur TikTok.

Vous êtes pas fatigués de courir après tout ce bordel ?

Hé ho, les deux-pattes ! Vous sprintez vers quoi là ? Une Rolex ? Une place dans le train de 7h04 ? Le Graal du « manager du mois » imprimé en Arial 12 ? Le droit d’ajouter « senior » à votre intitulé LinkedIn ? Le corps idéal pour mourir jeune mais sec ? Le privilège de mourir stressés mais validés socialement ?

Les humains sont devenus des hamsters sous caféine : ils courent sans savoir pourquoi. Après la carrière, la reconnaissance, le bonheur monétisable.

Après des objets censés leur simplifier la vie, mais qu’ils passent leur temps à recharger, configurer, ou remplacer par plus « ergonomique ».

Moi, j’ai arrêté la course à patte. Enfin, je n’ai jamais commencer pour être exact. Mais pour autant, j’avance, lentement oui, mais j’avance pour de vrai. Je fais moins de choses, mais je les fais en entier : dormir, saluer, flairer, aimer. C’est ça, mon programme. Et vous savez quoi, c’est sans abonnement.

L’essentiel ne se trouve pas sur Amazon (même si t’as l’option Prime)

Spoiler : l’essentiel ne se commande pas. Il ne s’achète pas. Il ne s’optimise pas.

C’est pas un mug « Sois toi-même » fabriqué à la chaîne par des Ouïghours qui n’ont pas le droit de parler. C’est pas une appli qui te hurle de « rester zen » toutes les deux heures pendant que tu replies tes nerfs en origami. C’est pas un bol tibétain qui sonne faux mais coûte un rein parce qu’il est « chargé en vibrations quantiques ». C’est pas une séance de « pleine présence » animée sur Zoom par un coach certifié qui vit en PLS dans un van. C’est pas une alarme douce nommée « Soleil Intérieur » qui te réveille à 5h42 pour te rappeler de kiffer ta vie. C’est pas un tote bag « Good Vibes Only » posé sur le siège d’un SUV qui fume pendant que tu klaxonnes sur un cycliste sorti de son couloir.

Ouai bon t’as compris, aujourd’hui, l’inspiration me coule dans les babines comme de la sauce au fond de la gamelle. Autant dire : ça déborde.

Bref, l’essentiel, c’est un frisson de lucidité dans un monde qui surjoue. C’est un geste simple. Un silence plein. Une truffe contre ta main. C’est ce qui reste quand t’as tout désinstallé, tout rangé, tout perdu, tout pleuré. Ce qui reste quand t’as tout fermé sauf le cœur. Autrement dit, un moment authentique.

Le luxe, c’est pas ce que t’as. C’est ce que t’es.

Vous, humains, vous avez du Wi-Fi partout sauf dans vos relations. Vous parlez à des assistants vocaux mais plus à vos voisins. Vous calculez vos pas, vos cycles de sommeil, vos minutes de pleine conscience… et vous vous endormez seuls avec une alarme bienveillante qui vous rappelle de respirer.

L’essentiel n’est plus une nécessité, c’est un produit dérivé.

Vous rêvez d’un salon épuré, mais votre tête est en chantier. Vous achetez des simulateurs de feu de cheminée, mais vous tremblez dès qu’un silence s’installe. Vous faites du tri dans vos affaires, mais vous stockez vos émotions dans un drive partagé. Bref, tout le monde veut être heureux, mais personne ne veut rater une notif.

Shaw avait flairé le truc

Je suis peut-être un chien, mais même moi je lis. George Bernard Shaw, un humain qui avait du poil aux idées, disait un truc fabuleux :

« Le monde est composé de paresseux qui veulent de l’argent sans travailler, et d’imbéciles qui acceptent de travailler sans jamais devenir riches. »

Et devinez quoi ? Il n’avait pas tort.

Et j’observe, navré mais hilare, ces humains qui travaillent comme des forçats pour s’offrir une baignoire dans laquelle ils n’ont pas le temps de tremper un orteil. Ils remplissent leur vie comme on bourre une valise trop petite : à force, ça pète. Et quand ça pète, ils appellent ça une « crise de sens ». Moi j’appelle ça : le moment où tu réalises que tu t’es fait avoir par la grande promo du capitalisme intérieur.

Moralité ?

Faites comme moi : bossez juste assez pour mériter la gamelle. Et consacrez le reste de votre vie à la vivre. Allongé. Respirant. Libre.

Moins de trucs. Plus de vie.

On nous fait croire que « plus » rend heureux. Mais plus, c’est surtout plus de trucs à gérer, à porter, à laver, à recharger, à rembourser, à trier, à ranger, à jeter. Et si la joie tenait, en fait, dans le « moins » ?

Moins de meubles. Moins de mots. Moins de mensonges. Moins de posture. Ou alors plus de face-à-face. Plus de vraie présence. Plus de silences sans gêne. Plus de moments où on se regarde sans rien vendre.

Parce que quand tout s’écroule : le job, la façade, la 5G, les followers, il reste quoi ? Bah l’essentiel. Et c’est finalement pas compliqué. C’est juste moins de bruit et plus de présence.

L’essentiel, c’est pas ce qu’on accumule.

C’est ce qu’on partage.

C’est pas ce qu’on montre.

C’est ce qu’on ressent quand personne ne regarde.

C’est pas un objet, ni un titre, ni un plan de carrière à cinq ans.

C’est un fou rire au mauvais moment.

C’est une main qu’on attrape sans réfléchir.

C’est un silence qu’on n’a pas besoin de meubler.

C’est une assiette pas Instagrammable mais partagée.

C’est un chien endormi contre toi, la tête lourde et le cœur léger.

L’essentiel, c’est un regard qui te voit quand toi-même tu t’oublies.

C’est un moment simple, tellement vrai qu’il ne cherche même pas à être parfait.

On passe trop de temps à chercher ce qu’on a déjà.

Et pas assez à l’aimer pendant qu’il est là.

Raymond de Rennes
Minimaliste involontaire mais convaincu
Observateur impitoyable des humains pressés