Moi, Raymond, bulldog anglais pur jus, suis né avec un nez trop court, des pattes en biais et une capacité respiratoire proche de la plante verte. Et pourtant, me voilà. Vivant, ronflant, vibrant. Mon existence est une ode aux plans mal ficelés, une anomalie sur pattes, validée par un vétérinaire distrait et un éleveur en quête d’exotisme.
Mais voyez-vous, ce que certains appellent « défaut », moi j’appelle ça « caractère ». C’est dans mes plis que se loge ma personnalité, dans ma démarche de crabe que se niche ma philosophie : avancer de travers, mais avancer quand même.
Le vivant, ce grand improvisateur
La nature n’a jamais été fan de la règle, ni du correcteur orthographique. Le vivant, c’est du bricolage haut de gamme. Des espèces qui ratent leur casting mais survivent quand même, des ADN qui mutent parce qu’ils ont mal recopié leurs devoirs. C’est d’ailleurs ça qui crée la robustesse : la marge d’erreur.
Le fait qu’on puisse rater un saut, se planter de chemin, éternuer dans un moment clé et quand même rester en vie, parfois même mieux vivre qu’avant. Moi-même, j’ai raté plusieurs fois la gamelle… et j’en ai tiré une philosophie de la lenteur digestive.
Si la perfection était la règle, l’humanité se résumerait à un filtre Instagram : plat, brillant, creux, et sponsorisé. Mais non. On tremble, on se tord, on doute. C’est là que ça devient beau.
Cette fameuse marge d’erreur offre en effet une capacité à plier sans rompre, à bifurquer sans s’effondrer, à avoir un plan B… ou pas de plan du tout, et survivre quand même, la truffe haute.
Mon maître, nouvel apprenti des thèses d’Olivier Hamant – un monsieur très sérieux qui a compris que le vivant aime le chaos – est devenu si passionné par le sujet qu’il pourrait animer une soirée apéro-débat sur « l’éloge du bug » en PowerPoint 86 slides, avec transition en fondu et plateau de fromages bio. Mais bon, il n’a pas encore trouvé d’amis assez indulgents pour rester jusqu’au bout de son TEDx improvisé.
L’erreur est humaine. Elle est aussi canine.
Il paraît qu’il faut apprendre de ses erreurs. Moi, j’en ai fait mon écosystème. Je les collectionne. Je les savoure. J’ai mordu une pantoufle croyant que c’était un écureuil. J’ai poursuivi mon reflet dans une baie vitrée. J’ai tenté de séduire un golden retriever… en rotant.
Chaque échec est un morceau de vécu. Un souvenir embarassant, donc précieux.
À force de vouloir réussir, on oublie de vivre.
La réussite, c’est chiant. Ça sent la sueur froide et le PowerPoint. L’échec, au moins, a du panache. Il claque. Il fait rire. Il crée des anecdotes. Et puis, entre nous, quand un chien se plante, il ne va pas faire un burn-out. Il s’étire, il rote, et il recommence. Voilà.
Mon maître, cet artiste de l’à-peu-près
Mon maître, photographe à ses heures perdues (et Dieu sait qu’il en perd, des heures), est un fervent défenseur de l’imperfection. Il shoote en argentique, développe à la main, cadre au jugé, rate souvent. Mais il rit dans le flou. Il trouve de la lumière dans l’imprévu. Il dit que l’erreur est l’âme de la photo. Moi je pense qu’il a surtout la tremblote. Mais le fond est bon.
Là où le numérique nettoie, corrige, égalise, aseptise – lui cherche l’accroc, le tréssautement, le hasard qui raconte. Un reflet mal placé devient poésie. Un portrait flou devient intime. Il fait de ses maladresses une esthétique.
Comme quoi, on peut rater sa vie professionnelle et réussir sa lumière.
Quand la performance te mange le museau
Avant de retomber amoureux du flou, mon bipède, pauvre âme zélée, a longtemps voué un culte sans nom à la performance — ce mot chic pour dire perfection maquillée en costard slim.
Il optimisait tout : son agenda, son sommeil, ses mails, sa respiration (en carré, bien sûr), ses pauses café, et même ses moments de « lâcher-prise » planifiés sur Google Calendar. Il voulait être un homme efficace, impactant, inspirant… Résultat : il est devenu un zombie brillant, avec des cernes en open space et une joie de vivre sous perfusion.
À force de viser le sans-faute, il a fini par se louper en beauté : burn-out, blackout, down complet. Même moi, j’ai cru qu’il allait imprimer un QR code pour accéder à sa propre paix intérieure, sauf que le lien était cassé.
C’est là qu’il a compris un truc fondamental : à force de vouloir tout réussir, il avait raté l’essentiel.
Il a donc rangé ses tableaux Excel, balancé ses applis de tracking dans le caniveau, et ressorti un vieux Leica poussiéreux, une pellicule à moitié collée à un vieux bonbon, et… il a recommencé à douter. À rater. À respirer.
Depuis, il shoote comme il vit : un peu de travers, souvent à contre-jour, mais heureux.
Et moi, je l’observe, fier. Même s’il me prend encore parfois pour un sujet artistique, comme si j’étais un bouquet de tulipes.
Le monde parfait sent le détergent
Franchement, regardez autour de vous. Tout est lisse, propre, poli. Les visages filtrés, les discours calibrés, les émotions livrées sous plastique.
Les enfants doivent parler mandarin, jouer du clavecin les yeux bandés, et identifier leur « mission d’âme » avant d’avoir perdu leur première dent. Les couples brillent en story et s’éteignent dans la vraie vie. Les carrières sont censées grimper droit comme une érection de Rocco. Les apparts sont blancs, vides et sponsorisés par des influenceurs fans de béton ciré.
On vit dans une comédie de façade. Le monde parfait est une pub pour dentifrice. Il brille, mais il ne respire plus.
Moi, je préfère sentir un peu le chien mouillé et dire des vérités qui grattent. J’aime quand ça déborde, quand ça rate, quand ça vit. L’imperfection, c’est une forme de rébellion. Une bouffée d’oxygène au pays du contrôle.
Réhabilitons le tâtonnement (et les pattes sales)
On ne devrait pas punir ceux qui tâtonnent. On devrait les remercier. Ce sont eux qui avancent dans le noir, qui explorent, qui ratent, qui recommencent. Trop souvent, on attend d’avoir le bon plan, la bonne posture, la bonne version de soi avant d’oser. Mais la vie n’attend pas.
Elle se fout de votre business plan. Elle aime quand vous glissez sur une flaque et que vous vous relevez en riant. Et puis les pattes sales, c’est la preuve qu’on a marché. Les griffures sur le parquet ? Des souvenirs. Les erreurs ? Des empreintes.
Le droit au loupé : une urgence vitale
Je milite pour un droit au loupé. Un droit à dire « je sais pas », à faire moche, à changer d’avis, à revenir sur ses pas sans devoir s’excuser comme un stagiaire.
Le monde a besoin de gens qui ratent en public. Qui ne maîtrisent pas tout. Qui osent quand même. Et qui, une fois dans le mur, repartent bancals mais vivants. Ce qui, dans le fond, est déjà une performance.
On apprend plus d’un chien qui renverse la gamelle que d’un humain qui vous explique comment ne jamais la salir.
Vive le flou, bordel.
Oui, vive le flou.
Vive ce qui tremble, ce qui déborde, ce qui dépasse du cadre. Vive les chemins pas droits, les idées pas finies, les versions brouillon qu’on ose quand même montrer. Vive les angles morts, les hors-champs, les silences gênants et les mots qui sortent de travers. Vive les aboiements étouffés, les tremblements d’émotion ou de trouille, les hésitations qui nous rendent vivants. Vive les bides monumentaux, les punchlines qui tombent à plat, les PowerPoints plantés en plein pitch. Vive les yeux qui brillent, même si c’est pas symétrique, même si c’est pas validé par l’algorithme. Vive les truffes froissés au réveil, les rires mal contrôlés, les moments où l’on n’a pas le bon mot, pas la bonne tête, pas la bonne posture. Bref, vive tout ce qu’on essaie de cacher dans ce monde Photoshopé à mort.
Parce que c’est justement là, dans les ratés, que ça vit. Pas dans le filtre, mais dans la fissure. Pas dans le parfait, mais dans ce qui dépasse.
Alors lâchez prise, bon sang. Détendez-vous. Respirez. Arrêtez de vouloir tout comprendre, tout maîtriser, tout prouver. Vous n’êtes pas un fichier Excel. Vous avez le droit de buguer, de faire demi-tour, de changer d’avis, de laisser la balle au bond.
Moi, Raymond, quadrupède cabossé dans un monde botoxé, je l’affirme haut et gras :
L’imperfection, c’est la marque des choses qui vivent.
Un monde trop lisse, trop net, trop bien rangé, c’est souvent un monde déjà un peu mort. Un monde sous vide, sans odeur, sans aspérité, avec des gens qui sourient à force de filtres et s’étouffent sans faire de bruit. Ça sent bon, c’est bien éclairé… mais ça ne respire plus.
À l’inverse, ce qui vit vraiment fait du bruit, du désordre, de la poussière. Ça tremble, ça change d’avis, ça pleure, ça rit trop fort, ça tombe, ça pète, ça recommence. C’est pas Instagrammable. Mais c’est précieux.
Alors si tu te sens un peu de travers, un peu trop, pas assez, mal foutu, à côté du cadre : ne change rien. T’es pas cassé. T’es vivant.
Et moi, Raymond, chien court sur pattes, long sur les réflexions, je te tends ma patte bancale en signe de solidarité.
Viens, on va se rouler dans le flou ensemble.
Raymond de Rennes.
Chien bancal, mais authentique.