Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. Un matin, j’étais tranquillement en train de renifler un coin de canapé (odeur musquée, légère note de chaussette oubliée), et le soir même, j’étais dans un magazine.
En double page. Avec un éclairage flatteur et une légende du type “Raymond, le bulldog qui fait fondre les cœurs.” Moi ? Fondre des cœurs ? Je suis déjà essoufflé quand je monte trois marches, alors faire fondre quoi que ce soit, honnêtement…
Et pourtant, me voilà célèbre. Mondain malgré moi. Populaire à mon insu. Je n’ai rien demandé. J’ai juste écouté mon humain et me suis sagement allongé non pas sur mais à coté du tapis d’un hôtel rennais huppé. Avec grâce, apparemment.
Le mystère de la célébrité spontanée
Je n’ai pas d’attaché presse. Je n’ai pas de compte TikTok. Je n’ai pas de filtre préféré. Je n’ai même pas conscience du Wi-Fi. Mais depuis cette fameuse photo où je fixe l’objectif avec mon habituel air d’ennui distingué, il paraît que j’ai “une vraie présence”. Je ne savais pas que la capacité à l’immobilité passive pouvait être considérée comme un atout… Manifestement, je suis le Zidane de la pose molle.
Depuis, tout s’enchaîne : invitations, caresses non sollicitées, croquettes haut de gamme. Il y a même un type qui a voulu faire un selfie avec moi rue Vasselot. Moi, Raymond, simple chien de salon, propulsé mascotte régionale du flegme canin.
On ne choisit pas la grandeur. Elle vous tombe dessus, comme un reste de croissant oublié sur la table basse.
Être célèbre, c’est surtout être beaucoup touché
Je commence à comprendre ce qu’endure une star hollywoodienne en bas de son hôtel. On me caresse le museau comme si j’étais un distributeur de bonheur. On me parle avec des voix ridiculement aiguës, comme si ma célébrité avait entraîné une perte d’audition. Et on me prend en photo au moindre bâillement, comme si j’étais en train de livrer une performance d’acteur dramatique.
J’ai en effet compris que j’étais devenu “quelqu’un” quand mon humain a commencé à me parler avec un ton mielleux, façon agent artistique : “Raymond, on a une interview demain, il faudrait éviter de péter sur le canapé.” Pardon ? Depuis quand dois-je me censurer ? Mon authenticité fait mon charme.
Moi, je reste digne. Toujours. Un regard à demi clos. L’oeil vide mais pénétrant. Une babine mollement pendante. C’est mon image. Mon art.
Je suis populaire, donc je suis ?
Franchement, je n’ai rien changé à ma routine. Je dors. Je mange. Je fais semblant d’écouter. Mais maintenant, tout le monde trouve ça “adorable”. On me compare à Buddha. On me dit que j’ai “une aura”. Moi je pensais juste que j’avais un peu de fromage coincé dans les dents.
Parce qu’en vrai, je suis simplement une célébrité née d’un bâillement mal cadré. Ouepppp…. Certains bossent des années pour être vus. Moi, j’ai juste bâillé au bon moment.
Mais bon, si mon regard vide de sens procure un moment de joie à quelqu’un, qui suis-je pour m’y opposer ?
Peut-être que c’est ça, la popularité : faire croire qu’on a une intention profonde quand on cherche juste un coin frais pour faire la sieste.
Je soupçonne au passage mon humain de m’utiliser pour booster son réseau pro : “Regardez Raymond, il est dans Tapis & Truffes Magazine, vous avez vu ? Il a une vraie vibe.” Une vibe ? J’ai surtout une digestion capricieuse, mais apparemment ça passe pour du charisme.
Une vie simple dans un monde qui m’adule
Je n’ai pas pris la grosse tête. De toute façon, elle est déjà grosse. C’est un fait anatomique.
Mais je continue de mener ma vie comme avant : sieste stratégique, frottement discret sur les jambes d’invités, et surveillance minutieuse de toute activité alimentaire dans un rayon de 5 mètres.
Ma popularité ne m’a pas changé. Elle m’a juste offert de nouveaux jouets et, apparemment, un “stylo” pour écrire ce blog. (En réalité, je dicte tout à mon humain, qui interprète mes grognements. Il est loyal, un peu lent, mais dévoué.)
Le plus dur dans tout ça, c’est de rester fidèle à soi-même. Ne pas se laisser emporter par la hype. Refuser les collabs douteuses : “Raymond, on te propose une gamme de parfums pour chiens.” Ah oui ? Parce qu’un bulldog qui sent la croquette tiède, c’est pas déjà un atout olfactif en soi ? Je m’attend désormais à recevoir une proposition de podcast. Moi. Raymond. Qui se couche dès qu’on prononce le mot “courir”. Franchement, à quand le TED Talk : “Oser la mollesse, par Raymond de Rennes” ?
Je suis une icône involontaire
Alors voilà. Je suis populaire. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas comment. Mais je suis prêt à l’assumer. Si mon flegme inspire, si ma mollesse rassure, si mes ronflements apaisent… alors tant mieux.
Mais soyons honnêtes : la célébrité, c’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Je fais exactement les mêmes choses qu’avant : je dors, je mange, je snobe les gens. Mais maintenant, on me félicite pour ça. On appelle ça “rayonner sans en faire trop”. Moi j’appelle ça “être un chien”.
Et entre nous, je soupçonne que cette popularité, c’est un complot de mon humain pour justifier mon train de vie à base de dodo et croquettes premium. “Mais regarde, il a besoin de repos, il est sollicité.” Sollicité ? J’ai reniflé une fougère hier, c’est tout.
Donc voilà, malgré cette médiatisation, je continuerai à vivre ma vie canine, entre deux siestes et un bol de croquettes. Et si un jour mon étoile pâlit, je m’en remettrai. J’ai toujours le tapis du salon. Et la certitude d’avoir été, un jour, le bulldog le plus photogénique de nos contrées.
Bien humblement votre,
Raymond